Etre une femme bolivienne : la pression de la princesse

S’il est certain que la construction de genre se fait dès l’enfance avec l’influence des parents, de l’éducation, de la société en générale alors il est sûr que l’éducation en Bolivie rencontre de grandes défaillances. La culture y est très fortement influencée par Hollywood et les telenovelas. Hollywood bien sûr dans ces films les plus commerciaux et stupides sinon il y aurait peut-être encore de l’espoir.

Etre une femme selon la télé bolivienne signifie être très belle mais terriblement dramatique, superficielle, stupide, incapable de se débrouiller sans un homme, bref être une princesse, bref pas loin du stéréotype qu’on retrouve en France aussi. Mais on retrouve aussi trois grandes différences : d’abord le physique des femmes puis la tradition quechua de femmes fortes et d’une société matriarcale et enfin un culte parallèle à la femme parfaite.

Car si l’image du corps de la femme est largement utilisée dans les publicités en tout genre, on peut franchement se demander d’où viennent les femmes des pubs. Elles sont généralement très blanches, grandes et sont toutes « en forme de 8 » comme dirait Cristina Cordula. Sauf que les boliviennes ont généralement la peau mate, voire très mate, sont souvent petite (moins d’1m65 disons) et en ce qui concerne la population de l’Altiplano et des vallées (68% de la population) on observe un élargissement de la cage thoracique destiné à permettre une meilleure respiration en altitude et qui a pour simple effet de faire disparaitre la taille. Tout ça à bien sûr pour conséquence pour une grande partie des boliviennes, l’utilisation de crèmes blanchissantes, de talons très hauts et de corsets et surtout une faible estime de soi.

En ce qui concerne la tradition, selon la culture quechua, les femmes participaient à égale aux prises de décision de la communauté et chacune avait droit à la parole. Ce qu’il en reste aujourd’hui sont des nombreuses histoires de femmes combattantes telles Juana Azurduy de Padilla et Bartolina Sisa et une certaine tradition matriarcale qui persiste dans les vallées. Souvent quand un homme se marie il est de tradition qu’il aille vivre près des parents de la mariée et qu’il n’ait que très peu de contrôle sur la gestion de l’argent du ménage ni l’éducation des enfants. Il travaille, paye et n’a pas son mot à dire. Il n’est pas rare d’entendre des jeunes dire qu’ils craignent leur mère, que c’est une terrible et qu’elle contrôle tous les aspects de leur vie. Attention cette tradition n’empêche ni les féminicides, ni la violence contre les femmes, ce qui montre que dans de nombreuses familles c’est la culture patriarcale qui domine. Toutefois cette image de la femme est très forte dans l’imaginaire collectif.

Enfin, surtout chez les enfants qui ont grandi dans ce modèle familiale on remarque un culte étrange a la femme, la mère forte, celle qui travaille dur pour ces enfants depuis que le père est parti, qui les élève avec rigueur et sévérité mais qui est aussi paradoxalement douce comme un agneau, une fleur délicate et sensible, un modèle d’abnégation et la parfaite création de Dieu. Il suffit de lire l’Hymne à la fête des mères, ou mon mur Facebook pour s’en rendre compte, la femme en tant que mère est une créature divine.

A cela s’ajoute un modèle majoritaire d’éducation parentale qui permet très peu d’autonomie, de sortie après 23h, qui rend difficile le fait de quitter le domicile parental avant d’être mariée, une éducation sexuelle extrêmement déficiente qui fait que de nombreuses jeunes filles se retrouvent enceinte avant 20 ans, des procédures de séduction plus que machistes. Sans oublier, dans une grande partie de la classe moyenne, des parents qui tendent à gâter leurs filles jusqu’à la moelle, leur donnent tout, ne leur demandent jamais de faire le moindre travail domestique, ne les laissent pas sortir seules, qui les élèvent et traitent en somme comme des princesses.

Comment alors être la femme qu’on rêve d’être, celle qui passe à la télé, quand on a 20 ans un enfant sur les bras, qu’on est prisonnière de ses parents ?

Comment se construire en tant que femme quand il faut être à la fois extrêmement sexy mais d’une façon qui n’est pas ethniquement possible, une femme forte et combattante qui mène son foyer d’une main de fer, et une princesse Disney qui change avec les oiseaux tous les matins ?

Comment accepter le mariage et ses travaux domestiques très peu partagés quand on a jamais fait cuire un œuf, qu’on n’a jamais rien fait par soi-même, que soudain on se retrouve avec des enfants dont on ne sait pas quoi faire, ni comment ils sont arrivés ? Qui a envie d’abnégation de nos jours ?

On se comporte comme on nous l’a appris dans les telenovelas, on privilégie ce que nos parents et la société nous ont toujours montré en exemple : la beauté si inaccessible soit elle.  On porte des minijupes avec des hauts talons, on se teint en blonde, on ne lésine pas sur les brillants, la couleur et le léopard, on fait un drame de tout, on est jalouse, commère. On tire des bâtons dans les roues des autres femmes pour éviter la concurrence. On divorce à tout va, il faut dire qu’on s’était mariés 6 mois après s’être rencontrés pour échapper aux parents. Le taux de divorce en Bolivie et l’un des plus élevés au monde (72%). Parfois on compense et on se dit qu’on est une divine création. Certaines commencent à se croire au-dessus de tout et déprécient les hommes qui ne correspondent pas au stéréotype du propriétaire d’hacienda secrètement amoureuse de l’héroïne de telenovela, 98% des hommes donc. D’autres préfèrent conserver leur indépendance, dans la prison dorée parentale. Etre une femme heureuse et accomplie en Bolivie est une tâche extrêmement compliquée. Et elle se complique encore d’avantage quand on analyse l’éducation des hommes et les relations hommes/femmes, ce qui sera le sujet de mes prochains articles.

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